vendredi 26 avril 2013

le jardinier désemparé

C'est le jardinier qui est venu me trouver.
Il avait l'air désemparé.
Il s'est assis. Visiblement il avait un truc à dire, mais il s'est tu, longtemps. Il a pris son temps. Quand l'impatience de ma curiosité a perdu son impatience, et que j'ai retrouvé l'espace pour l'écouter et l'entendre, il a fermé les yeux, ouvert les mains au vent, respiré, et après longtemps encore, il a murmuré, d'une voix de mille ans, douce, comme si elle venait de son for le plus intérieur et le mieux gardé, il a murmuré comme si ça l'accablait:
"je ne sais pas, je ne sais plus rien."
C'est bien la première fois qu'il ne sait pas. D'habitude, il a toujours réponse-question à tout, il sait, il sent ce qu'il sait et sait ce qu'il sent, il touche ses plantes et s'occupe d'elles, leur donne ce dont elles ont besoin comme elles fleurissent la couleur qu'il voulait, et tout va bien. Alors le voir comme ca...

Je lui ai dit
"c'est le jardin ?"
il a hoché la tête.
"C'est grave?"
il a regardé encore plus loin encore, comme au travers de la réalité, un regard qui traverse le temps, et j'ai pris ca pour un oui.
Il a dit
"Rien n'a changé pourtant tout a changé, et l'inverse est vrai aussi, je ne reconnais plus ma réalité. Le vent m'a rapporté une nouvelle qui me fait chanceler. Parfois je ne connais même plus le nom de mes plantes tellement je les connais bien, et je sais mieux que jamais les appeler pourtant, d'ailleurs peu m'importe leur nom parce que je les aime au delà de leur nom, je suis avec elles tout le temps, ce n'est même plus un choix si tant est que ce le fût un jour, et en devenant comme ca c'est comme si ca avait toujours été comme ca, je ne pourrais même pas concevoir de le vouloir autrement. Mais j'ai besoin de ciel et d'étoiles, j'ai besoin de désert. J'ai besoin de la voûte céleste et des étoiles très loin. Intimes d'être si loin, je veux sentir qu'elles sont très loin pour les sentir tout près, sentir qu'elles sont trop loin d'être si proches, et toujours trop l'un et toujours trop l'autre, en même temps je ne veux pas qu'elles soient loin, je veux les toucher, je veux trouver cette intimité qui manque ici parce qu'on est trop diverti, et vivre cette unité sans contraire et sans opposition cette harmonie sans résistance, où la graine se confond à la racine, là où l'infiniment petit est infiniment grand, et là en corps c'est toujours l'inverse, là où l'unité ne nie pas l'identité, là où les limites se dissolvent sans cesser d'exister, là où on se connaît pour s'être déjà nommés, ou bien là où on se connaît pour s'être appelés par nos vrais noms."

Bon.
Qu'il m'intrigue, ce n'est pas nouveau.
Mais là, il bat tous les records.
Malgré tout, j'aime pas le voir comme ca.
Je savais pas quoi lui répondre.
Je lui ai demandé

"mais votre jardin, vous l'aimez toujours?"
il a ouvert, les yeux, il a souri, il a resplendi, il a rayonné plein de couleurs autour de lui, il a répondu sans hésiter
"plus que jamais!" et il est reparti. Ca doit pas être si grave, alors ?

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