dimanche 26 février 2023

La valise oubliée

 Suite à un colis abandonné, un train entier a été aglutiné dans le hall de la gare. Quelqu'un s'est assis au piano et a commencé à chanter. Pas forcément mes musiques préférées mais des chansons françaises. Alors on a fredonné, chanté un peu plus fort, puis chanté tout à fait. Interrompus seulement pour écouter les annonces SNCF nous annonçant l'avancée du retard... Et quand j'ai tout à fait cessé d'être impatiente, je me suis émerveillée de cette musique qui nous rassemblait anonymement, il a été temps de partir, au milieu de la chanson... Et dans le wagon, on fredonnait, à tout de (d) rôles, des vieux nanars de la chanson française. Une demi heure de retard, mais le coeur joyeux...

dimanche 12 février 2023

La disparition (à poster un jour)

 La disparition

Je perds un ami. Je n'ai pas su que c'était un ami avant de l'avoir perdu, avant qu'il n'ait quitté ce monde. J'ai eu peur (bêtement, donc) de ce qu'il avait de plus beau, son regard, qui voyait, en nos cœurs, sans juger, par delà les coquetteries, les non dits, les fards et les pudeurs... qui voulait toujours faire rire pour ne pas imposer son cynisme, j'ai eu peur de ce qu'il pouvait voir et cette peur m'a privée d'une discussion sans âges.

Je n'en finis pas de le laisser partir. Après avoir senti la peine de ses plus proches, puis qu'il avait lutté, j'ai senti qu'il était dans le cœur de ses aimés. Après l'avoir poussé pour qu'il avance comme les regrets des discussions inachevées poussent sur les pagaies des passeurs de ce monde, des myriades de détails me sont revenus en mémoire, l'amusement s'est mêlé à la tristesse. 

Je vous souris, de l'autre rive, mon regard dérive et par ricochets, je me dis qu'il est urgent que je relise Prévert.

... des mois et des mois et des mois ont passé depuis que j'ai écrit ces paragraphes... il reste son regard comme le bord d'un pétale et les pagaies du regret sur le lac de la vie comme les larmes des cigales dans les nuits d'été. Quel mister !





Le portrait (le paradoxe du photographe)(à poster un jour)

J'ai dit ton prénom.
Tu as levé la tête et tu m'as regardée. J'avais déjà dégainé. Clic. J'ai pris la photo - la meilleure que j'aie jamais prise.
Pourtant je le regrette presque : j'ai l'impression que je te l'ai volée, impression de t'exposer au dépourvu. Et aussi surtout parce que j'ai pas envie de la partager, cette image je la veux garder pour moi toute seule.

Je le regrette presque, mais pas tout à fait quand même. Ce n'est pas seulement ton portrait. C'est aussi la photo de toi qui me regardes.

C'est la photo de comment je te vois. C'est la photo d'une évidence que je veux vivre mais que je ne veux partager avec nul autre que toi. C'est la photo de ce que je ressens et voudrais dire sans maux. C'est la photo de ce que je dis sans mots et qui bout en moi en permanence. C'est la photo exacte de ce que je voudrais te dire.

C'est tout ce que je ne te dis pas. Tout ce que je ne veux pas vouloir te dire. Cette évidence que je m'efforce de nier, et que je sais tout à fait inutile de nier.

Que j'ai besoin de toi pour être bien, par exemple. Que je pense à toi tout le temps. Que je suis sur les nerfs tout le temps quand on n'est pas - même de loin - en contact. Que ça me terrifie, aussi.

Et que en vrai, j'en sais rien, de ce que tu penses
Mais toi ? 

La nostalgie d'un lieu qui n'existe plus

 

Aujourd'hui en voulant écouter Creep sur youtube je suis tombée sur le clip de Charlotte Gainsbourg et Johnny Depp tourné au Virgin des Champs. Les jeunes d'aujourd'hui ne vont même pas comprendre de quoi je parle. Et pour la première fois de ma vie j'ai cette nostalgie au ventre d'un lieu qui n'existe plus parce que les temps ont changé.

Les casques du Virgin, de la Fnac, leurs câbles caractéristiques avec les rainures horribles (les même câbles que ceux des cabines téléphoniques soit dit en passant), rigides et froids au toucher (j'aimais pas), les gros boutons physiques à appuyer (j'aimais bien) pour passer le cd à la prochaine chanson, les codes implicites : celui qui arrivait en deuxième (deux casques par borne) pouvait écouter la musique aussi, mais le droit de changer les chansons revenait à celui qui était arrivé en premier. La complicité fugace et anonyme d'écouter le même morceau en même temps, ou l'irritation extrême, ça dépendait des cas. Les vendeurs toujours débordés qui sillonnaient les allées en courant à moitié comme des insectes affolés, alpagués tous les deux mètres par des clients aux questions diverses et toutes plus pressantes les unes que les autres, et les bras chargés de CD, toujours en gilet/maillot rouge en polyester chez virgin, jaune moutarde à la fnac, deux couleurs qui si possible n'allaient avec rien, toujours amusant de faire le lien entre le style de musique et le vendeur en question.

J'y allais au moindre événement marquant, rencontre inoubliable pour retrouver cette musique que je venais de découvrir (à tous les sens, toute l'essence, toute l'effervescence du terme enfin plutôt du début), rupture insurmontable pour diluer la douleur (de terme justement), ou juste comme ça sans raison du tout, seule ou avec des amis mélomanes, ou bien au détour d'une balade pas trop nocturne (mais je crois qu'il y avait des nocturnes, d'ailleurs ? des jours où c'était ouvert plus tard que les autres jours ?), ou juste parce que je passais devant et voulais entendre une mélodie en particulier, ou celles d'un album qui venait de sortir.

Clin d'œil à ceux qui comprennent, gratitude anonyme immense à ces derniers d'avoir été le témoin de mon époque : car ces lieux n'existent désormais que pour nous, par nous et en nous. La société, la technologie les rend désormais impossibles, désuets : elle n'a plus de lieu pour eux, elle les confine à nos mémoires et à nos cœurs : elle les atopise, elle les uchronise.
Il est là, mon âge, bien plus que dans un sillon sur mon visage : dans des habitudes d'un autre temps, dans la nostalgie d'un lieu qui n'existe plus. Il se voit, mon âge, quand je parle aux jeunes de ces lieux et que leur sourcil se hausse, et que leur visage se plisse : mais de quoi elle parle, encore, youtube c'est bien plus pratique... alors je souris un peu : cela aussi passera... et je me demande de quels lieux ils auront la nostalgie, eux aussi un jour... j'essaye d'imaginer, et puis je souris tout à fait, dans l'imagination, elle est là notre jeunesse...